vendredi 4 octobre 2019

Marginalisation commerciale de l'Afrique

L’Afrique est-elle en marge de la mondialisation ? Si l’on regarde la part du commerce Africain dans le commerce mondiale, la réponse est clairement affirmative puisque le commerce Africain représente à peine 2.7% du commerce mondial.  Certes le processus de désintégration observé entre les années 1970 et 2000, où la part de ces échanges avait chuté de 4% à 1.5% a été stoppé, mais le poids de l’Afrique dans le commerce mondial reste faible.



Cette faiblesse, s’explique avant tout par la faiblesse des revenus et par la structure des pays très spécialisés sur des produits agricoles dont la valeur pèse peu dans les exportations mondiales. Enfin les coûts commerciaux, qui comprennent les tarifs mais aussi toutes les barrières non tarifaires (coûts administratifs, passage de frontière, infrastructure de transport), sont relativement plus élevés en Afrique (et pour les biens agricoles) que dans le reste du monde. Étudions ces déterminants gravitaires (poids économiques des pays et distance au marché) expliquant la marginalisation de l’Afrique du commerce international.

Le difficile accès au marché

Outre les infrastructures de transport qui sont souvent en mauvais états, les formalités administratives pour exporter (ou encore le temps de passage à la frontière) représentent des entraves importantes pour les exportateurs Africains. En 2018, il fallait par exemple en moyenne 97 heures en Afrique (indicateur « time to export : border compliance » basé sur enquête de la Banque Mondiale), contre 22 heures en Europe et en Asie Centrale pour passer les formalités de la frontière. 

Si l’on observe désormais les tarifs, qui sont plus facilement mesurables, mais qui ne représentent qu’une part des coûts commerciaux (environ un quart du coût total) nous constatons qu’ils sont de l’ordre de 9% pour les exportateurs de biens agricoles (voir tableau ci-dessous basé sur une moyenne de 55 pays africains). Ce taux de protection est moins important que les coûts tarifaires rencontrés par exemple par les exportateurs européens (11%) principalement en raison des préférences commerciales accordées aux pays les moins avancés (Candau et Jean, 2009).


En analysant l’accès au marché Africain, il est frappant de constater que les importations de biens agricoles sont lourdement taxées, avec un équivalent ad-valorem de l’ordre de 18% (contre 13% en Asie et 7% en Europe).

Ce protectionnisme Africain s’explique à la fois par la nécessité de faire rentrer des recettes fiscales, et par le pouvoir de lobbying de certains producteurs associé à une volonté de protéger une agriculture qui occupe une grande part de la population.

La production

La production agricole représente en moyenne 65% des emplois selon les estimations de Diao et al. (2017), ce qui est sans aucun doute une borne basse qui ne concerne d’ailleurs que 11 pays Africains.
Les avantages comparatifs des pays Africains au sein de ces produits agricoles sont le cacao (21% du marché mondial), le café (6% des exports mondiale), le thé (1/5 du marché mondial), le sucre (5%), le coton (16%), les fruits (agrumes:16%, raisins: 4%), les fruits à coques (noix de cajou: 20%), divers légumes et poissons. En dehors de ces avantages comparatifs, une grande partie de l’agriculture est une agriculture de subsistance.

La productivité du secteur agricole est d’une façon générale extrêmement faible par rapport aux biens manufacturés. Il faut noter aussi que ce secteur industriel ne représente qu’une faible part de la production, entre 4 et 8% du PIB des pays Africains.



Cette faible industrialisation est problématique, elle signifie que l’on observe en Afrique une urbanisation sans industrialisation (Gollin et al., 2016), c'est-à-dire un déversement de la force de travail d’un secteur agricole peu productif à un secteur tertiaire urbain informel qui l’est tout autant. Il y a certes en Afrique des secteurs ultra-rentables tel que le secteur minier, mais qui sont fortement capitalistique et emploient donc peu de main d’œuvre.

Cette évolution diffère de la transformation structurelle observée en Europe au siècle derniers et en Asie actuellement où urbanisation, industrialisation et mondialisation sont allées de pair expliquant une partie non négligeable de la croissance au sein de ces continents (Candau et Dienesch, 2013). Les leçons économiques du passé, nous enseignent que la façon la plus efficace pour converger rapidement vers les pays riches est de se spécialiser dans le secteur industriel où les gains de productivité sont les plus forts et les plus faciles à obtenir (Rodrik, 2013). En effet, il n'est pas nécessaire d'un point de vue économique (sans doute nécessaire à d'autres égards) d'avoir un état providence finançant l’éducation, la santé et la solidarité pour développer les premiers chaînons d’un secteur industriel. La done est tout autre pour construire une économie tertiaire développée.

Conclusion

Si l’Afrique est d’une façon générale marginalisée du commerce mondial c’est parce que les revenus y sont faibles, que les spécialisations ne permettent pas de s’insérer de façon diversifiée dans le commerce international et enfin que l’accès aux marchés internationaux reste difficile en raison des différentes barrières tarifaires et non tarifaires qui font obstacles aux exportations Africaines. Dans un récent article nous avions tenté d’analyser si les accords régionaux Africains étaient en train de modifier cette marginalisation, avec l’idée en arrière plan qu’une intégration interne pouvait être un marche pied à une diversification des économies Africaines (Candau, Guepie and Schlick, 2019). Nous avons notamment regardé si la demande interne naissante avait stimulé les activités à rendements croissants souvent porteurs de croissance. Hélas nous n’avons pas trouvé de signe d’une telle dynamique, espérons cependant qu’elle soit en cours mais pas encore visible dans les données.

F. Candau

PS: Si vous souhaitez imprimer ce post, vous trouverez une présentation soignée en version pdf sur HAL qui a eu la bonne idée de créer une section "article de blog".

Références


  • Bouët A, L Cosnard, C. S. Fall, 2019. African in Global Agricultural Trade in  Africa Agriculture Trade Monitor.
  • Candau, F., Guepie, G., Schlick, J., 2019. Moving to autarky, trade creation and home market effect: an exhaustive analysis of regional trade agreements in Africa, Applied Economics, 51:30, 3293-3309.
  • Candau F, E Dienesch, 2013. Does Globalization explain Urbanization in the World and in Asia? hal-01847940
  • Candau F., S. Jean, 2009. What are EU Trade Preferences Worth for Sub-Saharan Africa and other Developing Countries? Published in Trade Preference Erosion: Measurement and Policy Response edited by B Hoekman, W Martin and C Primo Braga, World Bank and Palgrave-Macmillian series.
  • Diao, X., K., Harttgen, M., McMillan, 2017. The Changing Structure of Africa's Economies, The World Bank Economic Review.
  • Rodrik, D., 2013. Unconditional Convergence in Manufacturing. Quarterly Journal of Economics.128 (1) :165-204.


Racines d'Afrique

L’objectif de ce blog est de discuter d’études académiques sur l’Afrique avec l’espoir que ces débats permettent de mieux comprendre l’histoire et l’économie de ce continent. Certains posts seront sur « l’Afrique » pour mieux cerner les similitudes des nations Africaines et les spécificités de ce continent. D’autres posts seront plus axés sur certaines nations, voire sur certains territoires à l’intérieurs des Etats, mais en préservant l’idée qu’au-delà de la trajectoire particulière analysée, une leçon historique ou économique plus générale peut-être tirée. C’est à ce titre que ce blog s’intitule "Racines d'Afrique", pour nous rappeler de ne pas sombrer dans une analyse souvent passionnante mais trop particulière qui consisterait à se focaliser sur un seul territoire (une racine) sans prise de recul. Au plaisir d'échanger avec vous (commentaires ouverts et discussions sur twitter possible)!

Les contributeurs sont:
Louis Anderson Olié (économiste GRETHA-U.Bordeaux)
Geoffroy Guepie (Nations Unies, Economic Commission for Africa)
Idrissa Mané (Docteur en Ethnologie/Anthropologie, UPPA ITEM, Université Cheikh A. Diop de Dakar)
Assi Jocelyn Okara (économiste CERDI-U.Auvergne, doctorant)
Fabien Candau (économiste UPPA-CATT)





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