L’état de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Les Objectifs du Développement Durable et la convention n°202 de 2012 de l'Organisation Internationale du Travail sur les socles minimums de protection sociale avaient pour ambition un objectif commun louable et non exclusif 'la protection sociale pour tous'. La protection sociale comprend plusieurs branches notamment soins de santé, maladie, chômage, vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles, famille et enfance, maternité, handicap et invalidité, survivants. La majorité des pays à revenu faible et intermédiaire présentent des taux de couverture de populations assez faible suivant les branches choisies. Un moyen d’y remédier est la mise en place les filets sociaux de sécurité [1].
Alors que certains pays réussissent la mise en place de politiques de protection sociale couvrant un large éventail de risques sociaux et enrôlant une part de plus en plus croissante des bénéficiaires dans leurs populations (figure 1), la Côte d’Ivoire traîne le pas bien qu’elle dispose de nombreux atouts.
Entre 2012 et 2016, le pays a enregistré un taux annuel de croissance d’environ 7%. Cependant, le niveau de financement public de la protection sociale, mesuré par la part du produit intérieur brut consacrée aux dépenses en matière de protection sociale demeure quasi-inexistant. De 1,9% en 2011, cette part est estimée à 0,01% en 2016, classant le pays 23e sur 34 pays d'Afrique subsaharienne en termes d'indice composite de la protection sociale et du travail de la Banque Mondiale (World Bank, 2018).
Depuis 2016, la Côte d’Ivoire a mis en place des programmes de filets sociaux de sécurité qui prennent la forme de Transferts en Espèces et en Nature pour les populations les plus vulnérables. Comme le montre la figure 1, ce programme ne touche que 0,1% de la population dans un pays ou 1 personne sur 2 vit sous le seuil de pauvreté.
Figure 1 : Couverture des Filets de Sécurité Sociale en pourcentage de la population totale en Côte d’Ivoire et dans les autres pays à revenu faible et intermédiaire, 2016–2018.
Alors que certains pays réussissent la mise en place de politiques de protection sociale couvrant un large éventail de risques sociaux et enrôlant une part de plus en plus croissante des bénéficiaires dans leurs populations (figure 1), la Côte d’Ivoire traîne le pas bien qu’elle dispose de nombreux atouts.
Entre 2012 et 2016, le pays a enregistré un taux annuel de croissance d’environ 7%. Cependant, le niveau de financement public de la protection sociale, mesuré par la part du produit intérieur brut consacrée aux dépenses en matière de protection sociale demeure quasi-inexistant. De 1,9% en 2011, cette part est estimée à 0,01% en 2016, classant le pays 23e sur 34 pays d'Afrique subsaharienne en termes d'indice composite de la protection sociale et du travail de la Banque Mondiale (World Bank, 2018).
Depuis 2016, la Côte d’Ivoire a mis en place des programmes de filets sociaux de sécurité qui prennent la forme de Transferts en Espèces et en Nature pour les populations les plus vulnérables. Comme le montre la figure 1, ce programme ne touche que 0,1% de la population dans un pays ou 1 personne sur 2 vit sous le seuil de pauvreté.
Source : Banque mondiale, 2019. |
Une
question subséquente qui émerge est comment
les ménages ivoiriens réagissent-ils face à la quasi-inexistence de
redistribution publique ?
Les transferts monétaires informels
Une grande majorité de la population est impliqué dans divers arrangements de solidarité dont l’une des plus répandue est la redistribution de ressources ou transferts monétaires informels. Ces transferts monétaires informels permettent entre autre de lisser la consommation ou renforcer la résilience des ménages les plus vulnérables face à des chocs.
Ces soutiens financiers monétaires ont lieu à l’intérieur des réseaux sociaux, entre proches, parents et amis. La littérature en sciences sociales documente très bien les multiples avantages qu’offrent les réseaux sociaux aux individus dans le besoin. Pour Cox et Fafchamps (2007), ces réseaux relèvent parfois de la survie pour certains ménages.
En 2018, j’ai mené une enquête qualitative pour mieux cerner les contours du phénomène décrit précédemment. Il en ressort que les sollicitations de soutiens financiers auprès des membres du réseau social ou de la parenté concernent principalement les besoins primaires tels que la santé, l’éducation des enfants et la consommation. Ces postes de dépenses sont censés être soutenu par l’Etat. La redistribution informelle des ressources constitue le premier rempart pour les populations vulnérables. Cette dernière s’appuie sur des normes de partages bien ancrés dans la société ivoirienne.
A partir de données d’enquête sur le niveau de vie des ménages (ENV) représentatives au niveau national et collectées entre 1988 et 2015, Olié (2020) estime le pourcentage de ménage qui versent des transferts informels entre 67% et 85% (figure 2).
Figure 2 : Pourcentage des ménages versant des transferts informels entre 1988 et 2015.
Ces soutiens financiers monétaires ont lieu à l’intérieur des réseaux sociaux, entre proches, parents et amis. La littérature en sciences sociales documente très bien les multiples avantages qu’offrent les réseaux sociaux aux individus dans le besoin. Pour Cox et Fafchamps (2007), ces réseaux relèvent parfois de la survie pour certains ménages.
En 2018, j’ai mené une enquête qualitative pour mieux cerner les contours du phénomène décrit précédemment. Il en ressort que les sollicitations de soutiens financiers auprès des membres du réseau social ou de la parenté concernent principalement les besoins primaires tels que la santé, l’éducation des enfants et la consommation. Ces postes de dépenses sont censés être soutenu par l’Etat. La redistribution informelle des ressources constitue le premier rempart pour les populations vulnérables. Cette dernière s’appuie sur des normes de partages bien ancrés dans la société ivoirienne.
A partir de données d’enquête sur le niveau de vie des ménages (ENV) représentatives au niveau national et collectées entre 1988 et 2015, Olié (2020) estime le pourcentage de ménage qui versent des transferts informels entre 67% et 85% (figure 2).
Figure 2 : Pourcentage des ménages versant des transferts informels entre 1988 et 2015.
Source : Olié (2020). |
L’essoufflement des mécanismes de solidarité ?
La figure 2 présente cependant une réalité plus ou moins contrastée. Le pourcentage de ménage réalisant des transferts demeure très élevé mais en constante diminution depuis une vingtaine d’année. Cette dynamique met en lumière une réalité sur les transferts. L’essoufflement des mécanismes de solidarité notamment des transferts monétaires informels se fait sentir dans les sociétés où les transferts informels sont très répandus.
Cette dernière décennie a été marquée par la résurgence d’études empiriques qui se sont penchés sur le ‘Dark Side’ des arrangements de solidarité à l’intérieur des réseaux sociaux. L’idée selon laquelle les normes sociales et les sanctions qui prévalent dans ces réseaux sont sources de contraintes et de pression à la redistribution sur les individus qui réussissent relativement le mieux (Platteau, 2000).
Cette littérature identifie et caractérise principalement une certaine problématique sur le consentement à partager les ressources. Les individus déviants sont donc enclins à adopter des réactions évasives notamment en développant des stratégies sophistiqués et coûteuses pour éviter la redistribution.
Une illustration de ces stratégies est très bien mise en exergue par l’étude de Baland et al. (2011). En analysant le comportement d'emprunteurs d'une coopérative de crédit au Cameroun, les auteurs découvrent que certains individus ‘prétendent être pauvres’ pour éviter les obligations de solidarité financière. En effet, certains emprunteurs ne souffrent d'aucune contrainte de liquidité. Les prêts contractés sont des signaux envoyés aux membres du réseau social pour justifier qu'ils ne sont pas en mesure de leur apporter un soutien financier. Baland et al. (op. cit) montre que d’une part l’emprunt permet aux sollicités de ne pas répondre favorablement aux sollicitations mais génère néanmoins des coûts liés au paiement des intérêts sur ces prêts. Les stratégies d’évitement peuvent dès lors constituer un frein au développement économique.
D’autres récentes études explicitent les effets pervers sur le développement économique des transferts monétaires via la pression redistributive. On peut observer un délitement du capital social dans la mesure où certains individus réduisent les interactions sociales avec les membres de leurs réseaux (Di falco et al. 2018), une désincitation à l’investissement et à entrepreneuriat (Alby et al. 2020) et une baisse de la productivité (Hadness et al. 2013) toujours dans l’optique d’éviter la redistribution.
Cette dernière décennie a été marquée par la résurgence d’études empiriques qui se sont penchés sur le ‘Dark Side’ des arrangements de solidarité à l’intérieur des réseaux sociaux. L’idée selon laquelle les normes sociales et les sanctions qui prévalent dans ces réseaux sont sources de contraintes et de pression à la redistribution sur les individus qui réussissent relativement le mieux (Platteau, 2000).
Cette littérature identifie et caractérise principalement une certaine problématique sur le consentement à partager les ressources. Les individus déviants sont donc enclins à adopter des réactions évasives notamment en développant des stratégies sophistiqués et coûteuses pour éviter la redistribution.
Une illustration de ces stratégies est très bien mise en exergue par l’étude de Baland et al. (2011). En analysant le comportement d'emprunteurs d'une coopérative de crédit au Cameroun, les auteurs découvrent que certains individus ‘prétendent être pauvres’ pour éviter les obligations de solidarité financière. En effet, certains emprunteurs ne souffrent d'aucune contrainte de liquidité. Les prêts contractés sont des signaux envoyés aux membres du réseau social pour justifier qu'ils ne sont pas en mesure de leur apporter un soutien financier. Baland et al. (op. cit) montre que d’une part l’emprunt permet aux sollicités de ne pas répondre favorablement aux sollicitations mais génère néanmoins des coûts liés au paiement des intérêts sur ces prêts. Les stratégies d’évitement peuvent dès lors constituer un frein au développement économique.
D’autres récentes études explicitent les effets pervers sur le développement économique des transferts monétaires via la pression redistributive. On peut observer un délitement du capital social dans la mesure où certains individus réduisent les interactions sociales avec les membres de leurs réseaux (Di falco et al. 2018), une désincitation à l’investissement et à entrepreneuriat (Alby et al. 2020) et une baisse de la productivité (Hadness et al. 2013) toujours dans l’optique d’éviter la redistribution.
Conclusion
Le délaissement des populations par l’Etat en matière d’assistance sociale exacerbe les tensions sur le budget des ménages, leur laissant peu de marge de manœuvre pour des investissements productifs et donc un impact sur le développement économique. Nul ne peut ignorer les bénéfices d’un système de protection sociale couvrant un nombre considérable de risques sociaux et de bénéficiaires. C’est d’ailleurs pourquoi la protection sociale s’est érigée en nouveau paradigme de l’aide internationale. De nombreuses études soutiennent un effet d’éviction significatif des transferts informels par la provision de sécurité sociale aux populations. L’élargissement du régime national d'assurance maladie à tous les districts, au Ghana, a permis d’une part une réduction significative des dépenses personnelles pour les services de santé des populations et, d’autre part, entraîné une éviction des transferts informels (Strupat et Klohn, 2018). Dès lors, on comprend que l’intervention de l’Etat ivoirien par la redistribution publique n’est pas une option mais une nécessité pour améliorer le bien-être de la société.
L. Olié
L. Olié
Références
- Alby, P., Auriol, E., & Nguimkeu, P. (2020). Does social pressure
hinder entrepreneurship in Africa? The forced mutual help hypothesis. Economica, 87(346),
299-327.
- Baland, J. M., Guirkinger, C., & Mali, C. (2011). Pretending to be poor: Borrowing to escape forced solidarity in Cameroon. Economic development and cultural change, 60(1), 1-16.
- Cox, D., & Fafchamps, M. (2007). Extended Family and Kinship Networks: Economic Insights and Evolutionary Directions, Handbook of Development Economics, vol. 4, chap. 58.
- Di Falco, S., Feri, F., Pin, P., & Vollenweider, X. (2018). Ties that bind: Network redistributive pressure and economic decisions in village economies. Journal of development economics, 131, 123-131.
- Grosh, M. E., Del Ninno, C., Tesliuc, E., & Ouerghi, A. (2008). For protection and promotion: The design and implementation of effective safety nets. The World Bank.
- Hadnes, M., Vollan, B., & Kosfeld, M. (2013). The dark side of solidarity. Washington, DC: World Bank.
- Olié, L. (2020). ‘Under Pressure’ : Assessing the Cost of Redistributive Pressure in Côte d’Ivoire. Mimeo.
- Platteau, J.-P. (2000). Institutions, Social Norms, and Economic Development. Reading, UK: Harwood Academic.
- Strupat, C., & Klohn, F. (2018). Crowding out of solidarity? Public health insurance versus informal transfer networks in Ghana. World Development, 104, 212-221.
- World Bank. 2018. The State of Social Safety Nets 2018. Washington, DC: World Bank. © World Bank. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/29115 License: CC BY 3.0 IGO.
- World Bank. (2019). Côte d’Ivoire : Modernisation des Politiques de Protection Sociale et de
Travail Pour la Croissance Inclusive. Washington, DC: World Bank. Disponible en ligne sur http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/695861579889944402/pdf/Cote-dIvoire-Modernizing-Social-Protection-and-Labor-Policies-for-Inclusive-Growth.pdf.
[1] Les filets sociaux sont utilisés
pour désigner les programmes de transfert non contributifs (assistance stable sous forme de nourriture, de biens,
d'argent etc.) ciblant d'une manière ou d'une autre les personnes pauvres
ou vulnérables (Grosh et al., 2008).